Interview exclusive : l’analyse de CPR AM sur la remontée des taux
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Alors qu’une remontée des taux longs s’est initiée ces dernières semaines, plusieurs questions se posent : quelles en sont les raisons ? Ce mouvement va-t-il s’inscrire dans la durée ? Quelle stratégie adopter pour la gestion de son épargne ? Profitez de l’expertise de Thomas Page-Lecuyer, stratégiste chez CPR Asset Management.
Interview achevée de rédiger le 5 décembre 2016
Depuis quelques semaines l’OAT 10 ans s’est tendue (passant de 0,127 % le 30 septembre 2016 à 0,80 % le 1er décembre 2016). Comment expliquez-vous ce mouvement ?
Thomas Page-Lecuyer : Ce mouvement a quelque peu effrayé les marchés cet automne. Et pour cause, depuis le mini « krach » obligataire d’avril 2015 qui avait vu l’OAT 10 ans bondir de 0,42 % à 1,27 % en l’espace de deux mois, les investisseurs redoutent les remontées brutales des taux longs. Si les raisons de la secousse du printemps 2015 demeurent encore mystérieuses, celles d’octobre 2016 sont bien connues. Tout a commencé le 4 octobre dernier avec une rumeur de « tapering », c’est-à-dire un ralentissement du programme d’achat d’actifs de la BCE (Banque Centrale Européenne), relayée par Bloomberg News. Même si les sources étaient inconnues et la rumeur immédiatement démentie par les membres de la Banque centrale, les investisseurs ont eu tendance à craindre que l’institution rachète moins de titres souverains dès mars 2017, une action qui amènerait irrémédiablement les taux longs à remonter. En conséquence, l’OAT 10 ans passait de 0,15 % à 0,50 % sur un mois.
S’ensuivit l’élection présidentielle américaine qui a vu Donald Trump accéder à la Maison Blanche. Le fait est que le programme du nouveau président des États-Unis est basé sur des investissements massifs, des baisses d’impôts, sur un large programme d’infrastructures, sur la dérégulation financière et le creusement du déficit budgétaire, une approche « Reaganienne » hautement inflationniste. D’ailleurs, selon les scénarios de Moody’s et S&P, l’inflation annuelle devrait atteindre 5 % dès 2018 aux États-Unis, un niveau qui obligera la Réserve fédérale (Fed) à remonter rapidement ses taux directeurs. Naturellement, cela mettra les taux longs sous pression dont les rendements bondiront invariablement. En conséquence, cette tension due à l’élection de Donald Trump a fait tache d’huile en Europe, expliquant ainsi le nouveau bond de l’OAT 10 ans de 0,50 % à 0,75 % en novembre.
Cette tension va-t-elle se poursuivre ?
TP-L : Il est désormais certain que l’information de Bloomberg News au sujet du « tapering » n’était qu’une fausse rumeur. D’ailleurs, les récentes statistiques économiques et les derniers discours du président de la BCE renforcent la thèse d’un rallongement du programme d’achats d’actifs d’au moins 6 mois, de mars à septembre 2017. L’institution est à la manœuvre, prête à agir, et les conférences de presse de Mario Draghi de décembre et janvier devraient rassurer les investisseurs et pousser les taux longs à se détendre un peu. D’autre part, ne surestimons pas trop vite le programme de Donald Trump, la majorité républicaine du Congrès américain est historiquement peu encline à laisser son déficit budgétaire se creuser. Les perspectives inflationnistes des réformes du nouveau président américain pourraient donc être revues à la baisse. Quoiqu’il en soit, la BCE se tient prête à agir en cas de dérapage trop brutal des taux longs.
Dans ce contexte, quelle est votre stratégie sur les marchés obligataires ?
TP-L : Au sein des portefeuilles, aux États-Unis, nous privilégions les positions sur les « break even » (point mort de l’inflation), afin de profiter de la hausse des anticipations d’inflation, dans un environnement monétaire de moins en moins accommodant (hausses des taux directeurs américains). Cette classe obligataire constitue une des rares classes décotées dans le monde obligataire. Comme expliqué précédemment, elle bénéficie d’une dynamique positive avec l’éventuelle mise en place du programme de Donald Trump, puisque la stricte application des réformes économiques du républicain conduirait à une hausse marquée de l’inflation aux États-Unis dès 2017. Ce positionnement constitue pour les fonds une couverture en cas de hausse des taux.
En Europe, dans un environnement politique incertain à court terme avec le referendum italien sur la réforme du sénat, nous sommes absents des obligations gouvernementales des pays périphériques. Nous sommes de plus en plus prudents sur le segment « Investment Grade » (catégorie d’obligations les mieux notées par les agences de notation) et favorisons les obligations à haut rendement Euro « High Yield » qui offrent une prime historique élevée vis-à-vis de l’« Investment Grade », et seront moins sensibles à une hausse de taux. De plus, le niveau de taux de défaut anticipé sur le haut rendement devrait rester faible au cours des prochains mois et soutenir la classe d’actifs.
Cette hausse des taux pénalise-t-elle le marché actions ?
TP-L : Assez peu. En Europe, on observe une certaine dichotomie entre les marchés actions et les marchés obligataires ces derniers mois. Les rumeurs d’assouplissement ou de « tapering » d’une part, et l’éventualité d’un scénario de reflation (politique économique visant à injecter massivement de l'argent dans une économie afin de la doper artificiellement) américain ont un effet notable sur les marchés des taux, sans que les marchés actions ne soient réellement concernés. C’est relativement logique finalement puisque les pays européens ne seront pas concernés par les réformes inflationnistes américaines. Tant que les marchés obligataires réagiront aux mouvements d’autres zones du monde, la relation avec les marchés actions sera limitée ; mais le jour où le scénario de reflation sera local, il faudra s’attendre à voir les marchés actions réagir. Mais ce n’est pas pour maintenant en zone euro. En revanche, et c’est ici logique, aux États-Unis l’impact fut immédiat puisque la hausse des taux longs fut suivie par un rebond du marché actions américain, désormais sur ses plus hauts niveaux historiques. Les marchés jouent un scénario de reflation. Là aussi, malgré la récente hausse des taux longs, les taux d’intérêt restent sur des niveaux absolus historiquement bas. Leur remontée ne provoque pas encore d’effet d’éviction sur les marchés actions. En revanche, il faudra rester prudent si ce mouvement de hausse de taux se poursuit.
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Mis à jour le 14/03/2022